Le Quasar jumeau

Par Etienne Bertrand

(Etienne Bertrand) Je pratique l’astronomie depuis 2008. N’ayant pas fait d’études, c’est par le loisir et la lecture que j’ai connu ce fabuleux domaine. En commençant les observations, il me revenait en mémoire les soirées d’été passées à regarder le ciel avec mon grand-père, la Grande Ourse, Cassioppée et les milliers d’étoiles, déjà on comprend l’infinité du domaine… Dès mon intérêt pour l’astronomie j’ai intégré le club d’astronomie de Royan « Les Céphéides » à l’époque on observait dans la coupole avec un ami qui nous décrivait les objets avec passion et comme il avait un C8 qui pouvait pratiquement tout observer du planétaire au ciel profond, je me suis pris ce télescope. Rapidement j’ai compris que l’œil était vraiment limité pour observer. Et comme mon grand-père était passionné par la photographie j’ai acheté un APN et les « poses courtes » ont commencées.
Alors que je débutais en astronomie, en famille on partait souvent sur Oléron et je me rappelle avoir vu un panneau CNRS au rond-point de Dolus… C’est en creusant pourquoi il y a avait ce panneau du CNRS que j’ai trouvé l’école doctorale CNRS spectro et la société Shelyak. A l’époque il y avait que le Lhires sur le site internet, je ne savais pas trop ce qu’il pouvait faire, mais je savais déjà que ça me plaisait ! En 2015 j’ai acquis un Alpy600 et un Lhires et la féérie a commencé ! J’ai commencé la spectro avec un C8, c’est une très bonne école car le tube est léger ! Apprendre à connaitre et bien exploiter son matériel, bien gérer l’autoguidage pour ne pas perdre de flux, bien régler ses spectros pour avoir la meilleure résolution et caméra de guidage propre sont des étapes très importantes. Depuis peu j’ai investi dans un C11 pour avoir plus de flux et monter en magnitude. Attention plus grand diamètre rime aussi avec plus grandes difficultés si l’on ne possède pas bien son instrumentation (tout est amplifié). Mais bien réglé cela permet d’aller chatouiller les magnitudes 17 avec l’Alpy et 11/12 avec le Lhires. Il faut que le ciel suive aussi !

Un grand merci aux membres de la communauté spectro qui vulgarisent et aident les nouveaux et aux pros qui participent aux ProAm, ça rend la communauté passionnante !

Le Quasar Jumeau alias QSO 0957+561, est un objet exotique situé dans la constellation de la Grande Ourse. C’est un quasar distant de 7.8 milliards d’années-lumière et sa particularité est qu’il s’agit d’une lentille gravitationnelle !!

Lentille gravitationnelle qu’il est possible d’observer à l’œil ( !) car la distance entre les deux points lumineux est de 6 secondes d’arc. 6 secondes d’arc (6’’), c’est très petit c’est 1/300 de la taille de la Lune. Pour que ce soit plus parlant, prenons le cratère lunaire Tycho : qui fait 86 km, c’est à peu près 8 fois plus petit que ce cratère… Par rapport aux planètes : Saturne a une taille apparente de 20.1 secondes d’arc c’est donc 3 fois plus petit, c’est à peu près la taille apparente d’Uranus (4.1 secondes d’arc)… c’est donc très fin, mais visible !!

Pour l’apercevoir à l’œil dans l’oculaire, il faudrait surtout un télescope de grand diamètre ; 2 voir 5 mètres serait une bonne option mais ça ne court pas les rues… car la magnitude de ce quasar double est… faible : 16.7 et 17. Donc vraiment peu lumineux !

En photo dans un C11 avec une caméra CCD on l’aperçoit plus facilement. Le quasar jumeau est le double point dans le rond jaune. Les 2 points sont bien la lentille gravitationnelle du Quasar. Impressionnant ! La pose de l’image qui a binning 2×2 est de 47 x 10s.

Comment est produit cette lentille gravitationnelle ?

À environ 4 milliards d’années-lumière de la Terre et directement sur la ligne de visée du Quasar se trouve l’énorme galaxie YGKOW G1. Cette galaxie « elliptique » géante a une masse si grande qu’elle peut dévier la lumière des objets se trouvant derrière elle. Ce phénomène nous permet non seulement de voir des objets qui seraient autrement trop éloignés, mais aussi de les voir en deux points.

La première détection de lentille gravitationnelle signifiait bien plus que la découverte d’une impressionnante illusion d’optique permettant à des télescopes comme Hubble de voir efficacement derrière une galaxie intermédiaire. C’était surtout « la preuve » de la théorie de la « relativité générale » d’Einstein.

Cette théorie avait identifié les lentilles gravitationnelles comme l’un de ses seuls effets observables, mais jusqu’à l’observation de ce « Quasar Jumeau », aucune lentille de ce type n’avait été observée depuis que l’idée avait été évoquée pour la première fois en 1936 !! C’est donc un objet exceptionnel assez mythique !!

Détails amusants, le temps d’arrivée de la lumière provenant de ce quasar est différent selon qu’elle prend le chemin qui produit l’image A ou B !!! Pour le Quasar Jumeau, il y a 417 ± 3 jours de décalage entre les deux images. Il y a donc un chemin d’école buissonnière…

Quelle observation peut-on faire avec du matériel d’amateur ?

Sur un objet aussi balaize ? Humm ! Le challenge est de faire une étude qui confirme les caractéristiques astrophysiques de cet objet. C’est-à-dire que s’agissant d’une lentille gravitationnelle, on voit donc l’objet en 2 points. Il faudrait arriver à chopper assez de lumière pour l’analyser et l’étudier. Possibilités qu’offre la spectroscopie. Et s’il s’agit bien du même objet, on devrait arriver à prendre 2 spectres qui auraient les mêmes caractéristiques de raies ainsi que le même décalage (redshift) car l’objet est à 7.8 milliards d’années-lumière… (selon Wikipedia). Cela confirmerait la similitude « astrophysique » de ces sources le confondant en un seul.

Pour voir le résultat auquel on s’attend sur les spectres de quasar, on aperçoit principalement des raies d’émission liées au disque d’accrétion. Les raies d’émission sont de l’Hydrogène : Lyman et Balmer, de l’Azote, Du Carbonne, de l’Oxygène. Des éléments ionisés plusieurs fois.

Petite subtilité, comme on observe seulement dans le visible en amateur pour le moment de 3800Å à 7500Å et que ce quasar à un redshift de 1.416, les raies types qui vont être décalées vers le rouge et devraient apparaitre dans le visible sont les raies CIII] à 1909Å et Mg II à 2799Å. Elles seront décalées vers 4612Å et 6762Å, dans les gammes optiques. C’est toute la magie du redshift, attraper des raies de l’UV dans l’optique, un bon tour de passe-passe.

Le matériel de prise de vue :

Pour réaliser cette observation qui n’est pas sûre d’être concluante vu la difficulté…,

un tube optique C11 au moins (diamètre 28cm) sera utilisé, ainsi qu’une CCD ATIK414 muni d’un capteur à rendement quantique élevé pour acquérir le faible signal émis par ces objets. Le spectrographe utilisé est un ALPY600 avec tous les modules. Fente de 23µm. Plusieurs poses d’une durée de 30 minutes chacune seront nécessaires pour acquérir le signal et diminuer le bruit.

Décrypter le signal reçu : Qu’est ce que l’on va voir ?

Le spectre acquis est une accumulation de 6 poses de 30 minutes chacune, soit 6 x 1800s, 3 heures de pose. L’image est monochrome c’est-à-dire en noir et blanc, le coté bleu est à gauche et le coté rouge est à droite. Il faut s’imaginer un arc-en-ciel dans la photo ci-dessous car le spectroscope décompose la lumière.

Les traits verticaux d’intensités différentes sont des raies d’émission dues à la pollution lumineuse passées à travers la fente du spectrographe ! C’est la signature typique des lampadaires de ville à vapeur de Sodium. Ce signal sera soustrait lors du traitement des spectres. Ah la pollution lumineuse !!! Montagne des Pyrénées, montagnes sacrées au ciel bien plus pur ! PS. Il est à noter l’importance de créer des zones de ciel et d’espaces protégés pour laisser libre cours à l’harmonie de la nature, aux lieux et aux animaux.

On remarque dans l’image ci-dessous 2 traits horizontaux, ce sont les 2 spectres du fameux quasar ou plutôt de la lentille graviationnelle.

Un réglage ingénieur et minutieux à permis de mettre ces deux objets dans la fente du spectrographe. Mission 1 donc réussie, les deux objets ont bien été mis dans la fente du spectrographe qui fait un peu plus de 3 pixels de larges dans la caméra de guidage ! Une belle acrobatie pour mettre ce faible objet dans la fente et le maintenir pendant 3 heures de poses au pixel près pour limiter la perte de signal et que le signal ne se mélange !

Le résultat :

Voici les deux sources traitées avec le logiciel ISIS de Christian BUIL.

Les deux traits horizontaux sont les spectres bruts du quasar et convertis en spectre 1D (les longueurs d’ondes en abscisse, l’intensité en ordonnée). L’image du quasar la plus faible est la courbe bleue des mers du sud (haut) et la plus lumineuse la gris-vert (celle du bas) (magnitude 17 et 16.7).

Premièrement le signal est très très faible, de même intensité que le bruit, mais bien présent !

Secondo, à première vue on voit une belle bosse après 4500Å, vers 4600Å sur les deux spectres, c’est la raie du CIII] qui est visible à la place attendue. Intéressant ! Donc c’est positif ! la raie du CIII] apparait bien sur les deux spectres. L’observation et le traitement des données sont concluants. On aperçoit aussi la raie du Mg II dans le deuxième spectre, celui du bas qui est le plus brillant à magnitude 16.7. Elle ressort juste un peu plus que le bruit. Dans le deuxième spectre cette raie n’est pas très visible perdue dans le bruit de fond. On voit qu’il y a quelque chose mais pas très probant. Un binning 2×2 aurait été bien utile dans ce cas, mais pour ne pas mélanger le signal des deux sources qui sont très proches un binning 1×1 a été préféré.

On peut calculer le redshift avec la raie CIII] qui arrive vers ~4600Å on trouve un redshift de

z = (4600/1909) – 1

z = 1.409, Simbad donne z = 1.416

Le spectre filtré pour mieux identifier les divers raies

Le site Ned cosmology donne une distance de regard en arrière de 9 milliards d’années-lumière et une distance angulaire de 6 milliards d’années-lumière, cela illustre toute la difficulté d’évaluer les distances de ces objets lointains… Avec les spectrographes on peut même faire de la cosmologie !

 Conclusion de l’observation :

L’observation est réussie ! Loin d’être facile et très délicate, car l’objet est très faible magnitude ~17, à la limite du matériel utilisé et le lieu de l’observation n’est pas vraiment adapté à ce type d’observation : situé en pleine ville et à une altitude basse (10 mètres, juste au-dessus de l’océan).

Le temps de préparer le matériel pour la manip, j’ai attendu 1 heure du matin pour commencer l’acquisition des images de manière que tous les lampadaires de la rue soit éteint. Merci la Mairie de Vaux sur Mer pour ce geste d’économie et d’écologie.

Cette manip laisse présager les possibilités et la puissance qu’offre la spectroscopie en amateur… Observer des objets qui sont aux confins de l’Univers « observable » ce n’est pas rien. Imaginez-vous la vue que l’on a depuis un avion en plein vol, le sol parait tout petit, minuscule…. Et pourtant c’est à coté ! Là, avec ce matériel on peut « observer » des objets situés à des milliards d’années-lumière… Si les astronomes des siècles passés pouvaient voir cela. Voir l’émerveillement d’un Galilé ou d’un Newton découvrant ce matériel et ces résultats… Nous sommes des nains sur les épaules de géants.

Pour terminer je dirais que :

  • J’ai bien réussi à obtenir un spectre de chacune des sources du Quasar QSO0957+561 (ce n’était pas forcément facile !) vu la petite distance entre les deux sources et la magnitude.
  • Le signal reçu des deux sources est le même, les spectres sont assez identiques pour ces deux objets, donc c’est bien une lentille gravitationnelle, un seul et même objet.
  • En filtrant le spectre, je mesure les pics des deux raies d’émission CIII] et Mg II et je trouve un redshift moyen de 1.409 en accord avec le redshift donné par Simbad ou la NASA de cet objet z=1.416
  • On voit aussi la remontée de l’intensité dans le bleu du spectre (big-blue bump dû au rayonnement Bremsstrahlung près du trou noir central.

Une belle expérience pour terminer l’année 2019 et bien commencer l’année 2020 !!

En beauté !!!!