Reconstitution de l’image d’une nébuleuse planétaire par scan spectral

Par Lionel Mulato

Lionel Mulato est astrophotographe et spectroscopiste, son observatoire est basé près d’Avignon. Il a suivi un cursus universitaire en physique et pratique l’astronomie en amateur depuis de nombreuses années. Il a découvert plusieurs Nébuleuses Planétaires et participe activement à la confirmation spectrale de ces objets. Ses spectres alimentent la base de données professionnelle HASH PN. Lionel est membre de l’association 2SPOT dont le but est d’implanter au Chili un télescope pilotable à distance et dédié aux observations spectroscopiques.
 

Il est possible de reconstituer l’image 2D d’un objet en le “scannant” avec un spectrographe. Christian Buil précurseur dans ce domaine en astronomie amateur en détaille la méthode sur sa page.

L’obtention de cartes de flux détaillées demande un travail minutieux et de nombreuses heures de pose. Si elles sont bien réalisées ces cartes peuvent être d’un grand intérêt scientifique. Elles donnent des informations spatiales sur l’extinction, la structure d’ionisation, l’abondance des différentes espèces chimiques, la température et la densité électroniques d’une nébuleuse…

Pour réaliser un diagnostic digne d’intérêt des plasmas constituant une nébuleuse, il faut un télescope de grand diamètre et un spectrographe de résolution moyenne ou haute. Le diamètre des instruments amateurs (quelques dizaines de cm contre quelques mètres chez les pros) limite les possibilités d’observations. Certaines raies de faible intensité essentielles au diagnostic des plasmas restent inaccessibles aux amateurs.

J’ai tenté de réaliser un premier essai sur M 57, la nébuleuse de la Lyre, pour jauger les limites de mon équipement (Newton 200 mm F/5 avec un spectro basse résolution Alpy600) et pour me familiariser avec la méthode. C’est une cible très facile, très lumineuse. Les résultats seront ensuite comparés à des travaux professionnels pour vérifier si les données acquises sont pertinentes.

Acquisitions

La méthode consiste à scanner l’objet, en déplaçant la fente du spectro d’une extrémité à l’autre de la nébuleuse. J’ai déplacé la fente de 3 pixels entre chaque spectre acquis. Pour chaque déplacement de fente je n’ai réalisé qu’un seul spectre de 5 minutes en binning 1×1 (faute de temps). En tout j’ai acquis 22 spectres de M 57 sous une lune assez gênante (à quelques jours de la pleine lune).

Un déplacement de 2 pixels et la réalisation de plusieurs poses pour une même position de fente auraient été préférables pour avoir une meilleure résolution spatiale et un meilleur rapport signal sur bruit. Mais cela aurait quadruplé le temps de pose.

Ci-après le déplacement de la fente du spectro au cours des acquisitions (poses de 1s sur la caméra d’autoguidage) :

Images d’une seconde obtenue à l’autoguideur et déplacement de M 57 au cours des acquisitions

Spectre 1D et 2D

Le spectre 1D final obtenu est assez peu bruité malgré les poses unitaires. De nombreuses raies sont observables dont les raies classiques qu’on retrouve sur quasiment toutes les NP : [OIII] à 4959 et 5007 A, Halpha à 6563 A, [NII] à 6548 et 6583 A. Leur intensité est très importante devant celles des autres raies.

L’alpy offre un bonne détection dans l’UV, les raies de l'[OII] à 3727 A et du [NeIII] à 3869 sont parfaitement détectées. En rouge, j’ai noté les 2 raies aurorales des ions O2+ (4363 A) et N+ (5754 A). Elles sont très faibles mais leur mesure est cependant incontournable pour déterminer la température des plasmas (voir ici). La faible résolution de l’Alpy ne permet pas de séparer proprement les raies du [SII] à 6716 et 6731 A ce qui pose problème pour établir un diagnostic propre de la densité électronique de la nébuleuse. Mais j’y reviendrai plus bas.

Images couleurs

Grâce au logiciel ISIS de Christian Buil, il est possible d’isoler chaque raie et de visualiser son profil en 2D. Voici quelques images obtenues pour différentes raies d’émission. Comme en astrophotographie, il est possible de combiner les couches pour reconstituer une image couleur RGB.

Visualisation [NII] Ha [OIII]

Les filtres Ha à bandes étroites de 5 nm classiquement utilisés en astrophotographie, ne permettent pas de différencier le signal [NII] du signal Ha. Grâce à la spectro il est possible d’isoler les 2 raies.

Visualisation [NII] Ha HeII

La zone d’émission du HeII est clairement située dans le centre de la NP où le rayonnement UV de l’étoile centrale va fortement ioniser son environnement proche.

Visualisation HeII [NeIII] [NII]

La spectro permet de réaliser des combinaisons exotiques, inaccessibles en astrophoto amateur par absence de filtre à bande étroite sur les raies de NeonIII, de l’ArgonIII ou de l’Oxygène I ou II par exemple.

 

Etude de N.J. Lame et al. 1994

Il est temps de comparer ces résultats à ceux d’une publication professionnelle de 1994 : http://articles.adsabs.harvard.edu/pdf/1994AJ….108.1860L . Les acquisitions ont été obtenus à l’aide d’un spectro imageur et d’un télescope de 1,8 m de diamètre. Même si l’étude a plus de 30 ans, on ne joue pas dans la même cour au niveau matériel.

Carte de flux de raies d’émission

Ci-dessous les cartes obtenues par N.J. Lame et R.W. Pogge pour différentes longueurs d’onde (planches du haut) et mes résultats pour les mêmes longueurs d’onde (planche du bas).

Les cartes des émissions sont cohérentes. Mes résultats sont beaucoup plus bruités et moins résolus compte tenu du matériel utilisé moins performant et du faible nombre et temps de poses.

On va maintenant s’intéresser au rapport de certains couples de raies. Leur rapport donne des renseignements précieux sur l’extinction, la température, la densité de la nébuleuse. Pour obtenir des résultats corrects il faut que la réponse instrumentale soit correctement calibrée (étoile de référence utilisée pour la calibration : HD 174602).

 

Décrément de Balmer

Le rapport des raies Ha / Hb donne le décrément de Balmer, il renseigne sur l’extinction de la nébuleuse (son rougissement). Le rapport de ces raies est constant et prédit par la théorie. En pratique ce rapport dévie souvent de sa valeur théorique à cause des poussières situées entre l’observateur et la nébuleuse. La partie bleue du spectre, dans laquelle se situe la raie Hb, subit une atténuation plus importante que la partie rouge (Ha). A partir du rapport mesuré il est possible de dérougir le spectre pour rétablir les intensités qu’on aurait dû observer en l’absence des poussières interstellaires.

Voici ci-dessous à gauche le décrément de Balmer que j’ai obtenu. A droite la carte présentée dans la publication. Ma carte n’offre pas une bonne résolution mais donne des informations cohérentes avec celle de la publication. Les zones les plus obscurcies se trouvent en périphérie de la nébuleuse où le décrément est environ égal à 4, et sa valeur moyenne à 3. C’est un résultat très encourageant qui corrobore les données de la littérature scientifique.

Carte du décrément de Balmer obtenu par N.J. Lame et al.

Densité électronique

Regardons maintenant la densité électronique de la nébuleuse. Elle est proportionnelle au rapport R[SII] des raies du [SII] 6716 et 6731 A. La faible résolution de l’Alpy ne permet pas de séparer ces 2 raies (voir le spectre 1D plus haut). J’ai contourné cette difficulté en scannant uniquement la partie centrale des 2 raies en pensant que le rapport du pic d’intensité des raies devaient donner un résultat similaire au rapport de leur intégrale.

Sur le spectre 1D présenté plus haut, le rapport des 2 pics d’intensité donne R[SII]=1,06. En appliquant la relation d’Osterbrock ci-dessous, on obtient pour une température de 10 000 K une densité électronique moyenne de 540 e/cm3. Le résultat est bien cohérent avec celui de la publication.

Voici à gauche la carte de densité électronique obtenue, très bruitée et peu résolue, et à droite la carte présentée dans la publication. Des mesures prises à divers endroits de la nébuleuse donne encore des résultats cohérents avec la carte de la publi… incroyable vu la mauvaise qualité de ma carte ! C’est plutôt un coup de chance.

Carte densité électronique obtenue par N.J. Lame et al

Structure d’ionisation de la nébuleuse

Continuons avec la structure d’ionisation de la nébuleuse.

Les cartes obtenues ci-dessous à gauche sont toutes cohérentes avec celles de la publication, que ce soit vis-à-vis de leur structure spatiale ou au niveau du rapport d’intensité des raies. J’aurais dû dérougir mes cartes en corrigeant les intensités des raies grâce au décrément de Balmer obtenu précédemment. L’extinction de la nébuleuse étant peu élevée, la correction apportée aurait été marginale. Les résultats étant de plus très bruités je ne me suis pas lancé dans cette aventure instructive mais chronophage.

Structure d’ionisation obtenue par N.J. Lame et al

Structure d’ionisation obtenue par N.J. Lame et al

Température électronique

Une partie des plus intéressantes est l’évaluation de la température électronique des nébuleuses. Il existe plusieurs triplets de raies pour un même ion qui permettent d’estimer cette température. Les plus accessibles pour les amateurs sont les raies de l’ion O2+ à 5007, 4959 et 4363 A et celle de l’ion N+ à 6583, 6548, 5754 A (voir ici pour un explication détaillée). Comme précisé sur le spectre 1D tout en haut de cette page les raies 4363 et 5754 A sont souvent très difficiles à détecter pour les amateurs.

Dans leur publication, les chercheurs ont calculé la température électronique dans les régions N+. Je ne peux effectuer cette mesure à cause de la basse résolution de l’Alpy, les 3 raies Ha et N[II] à 6583 et 6548 A ne sont pas résolues et ne permettent pas une mesure propre. Les raies auraient pu être séparées, mais je n’ai pu le courage de le faire. Le résultat aurait sans doute était hasardeux.

 

Voici la carte de température présentée dans la publication. La température est à peu près homogène dans l’anneau de la nébuleuse et s’élève en moyenne à 9 600 K. (Carte de température électronique N+ obtenue par N.J. Lame et al.)

J’ai par contre pu évaluer la température des électrons des régions O2+ qui d’après la publication est censée être un peu plus élevée que celle du N+, et de l’ordre de 11 000K. Le rapport d’intensité R[OIII]=I5007+I4959 / I4363 est proportionnel à la température. Osterbrock donne la relation suivante pour la calculer :

A partir du rapport des pics d’intensité du spectre 1D j’obtiens une température de ~11 500 K. Le résultat n’est pas aberrant, peut être un peu élevé par rapport aux valeurs évoquées dans la publication (~11 000 K), mais l’ordre de grandeur est bien là. La correction de l’extinction aurait conduit à une température un peu plus élevée (peut être d’une centaine de Kelvin)

Ci-dessous la carte de température [OIII] (en réalité il s’agit du rapport R[OIII]), le mauvais rapport signal sur bruit de la raie 4363 A induit une carte de température très bruitée et peu fiable. Mais on retrouve un semblant d’homogénéité de température dans l’ensemble de l’anneau. Le rapport R[OIII] moyen de la zone encadrée en rouge est de 114 soit 12 300 K. Le résultat ne sont pas trop éloigné de celui de O’Dell et al 2013 (10 000 – 11 700 K).

De gauche à droite : Carte [OIII] 50007+4959 ; Carte [OIII]4363 ; Carte R[OIII] ; R[OIII] mesuré

Conclusion

Cette première tentative regroupant seulement 22 poses de 5 minutes dans des conditions peu favorables (à quelques jours de la pleine lune) a permis de recueillir plusieurs informations physiques pertinentes sur la nébuleuse planétaire M 57. Les résultats sont encourageants et corroborent les données de la littérature.

La reconstitution d’une image à partir de spectres est spectaculaire, même si on n’atteint pas la résolution d’une image réalisée avec des filtres à bande étroite. La spectro reste toutefois incontournable si on veut faire de la physique.

L’expérience est à renouveller, cette fois en posant plus longtemps et en effectuant un scan plus fin de l’objet afin d’obtenir un meilleur rapport signal sur bruit et une meilleure résolution spatiale. Le but étant de parvenir à terme, à produire des cartes de flux de qualité à partager avec des professionnels. Il est donc important dans un premier temps de valider la méthode sur des objets déjà étudiés.

Les possibilités qu’offre le matériel amateur restent toutefois très en deçà de ce que pouvait déjà offrir le matériel professionnel il y a 30 ans. En tout cas les observations amateurs sur des objets lumineux et peu étudiés peuvent permettre aux professionnels de préparer des observations plus pointues sur des zones d’intérêt particulières.