Sn 1181, une histoire peu commune…

Par Pascal Le Dû

 

Pascal Le Dû est un astronome amateur qui observe le ciel depuis la pointe bretonne. Il analyse et répertorie les candidates nébuleuses planétaires repérées par des amateurs. Il maintient la base des découvertes françaises et entretient avec Thomas Petit le site PlanetaryNebulae.net qui lui est consacré. Il ne manque pas de partager sa passion par le biais de conférences et d’articles dans des magazines d’astronomie. Il est lauréat 2016 du prix Dorothea Klumpke – Isaac Roberts de la Société Astronomique de France.

 

pascal.le.du@shom.fr

De prime abord, c’est la curiosité qui motive tout amateur qui observe le ciel. Parfois, cette curiosité est récompensée par l’acquisition d’une très belle image ou par l’explication d’un phénomène physique qui se déroule à des milliers d’années lumières de la Terre, grâce à une observation spectroscopique.

L’histoire qui suit, retrace justement le cheminement qui a permis de déterminer la nature exceptionnelle d’un objet du ciel grâce à son analyse spectroscopique. L’aventure débute en aout 2013 quand l’astronome amateur américain Dana Patchick découvre un objet qui pourrait être une nébuleuse planétaire (NP) à l’aide d’images WISE, dans l’infrarouge moyen.

Fig. 1 : Image Pa30 PanSTARRS color-z-zg-g

Fig. 2 : Images Pa 30 WISE bandes W1 a W4

Dana est membre du Deep Sky Hunter (DSH), un groupement d’amateurs qui recherche des objets susceptibles d’être des nébuleuses planétaires, à partir de relevés professionnels disponibles sur internet. L’objet en question est baptisé « Pa 30 ». Il est observé en septembre de la même année en imagerie [OIII] à l’aide du télescope de 2,1 m de diamètre de l’observatoire KPNO [1]. Son spectre est également observé en octobre 2014 avec le télescope WIYN de 3,5 m de diamètre du même observatoire américain [2]. Une très faible enveloppe [OIII] est détectée, mais rien de particulier n’apparait sur le spectre de « Pa 30 ». L’objet est classé sans suite.

Deux ans plus tard, en juillet 2016, « Pa 30 » est à nouveau observé dans le cadre d’un programme professionnel de confirmation spectroscopique de candidates nébuleuses planétaires. Ce programme est commandité par l’équipe du professeur Quentin Parker, astrophysicien à l’université de Hong Kong. Le télescope utilisé est le GranTeCan (GTC) [3] des îles Canaries, un télescope de 10,5 m de diamètre. Pour diverses raisons, ces données ne sont pas exploitées.

La même année, en octobre, lors d’un programme du même type, mais réalisé par des amateurs, « Pa 30 » est à nouveau observée par spectroscopie à AstroQueyras [4]. Rien de particulier n’apparait sur cette cible qui est vite écartée. L’équipe est composée de Olivier Garde, de Thierry Lemoult et de Pascal Le Dû. Le télescope fait 0.5 m de diamètre et le spectroscope utilisé est un Lisa de la société Shelyak [5].

L’histoire de « Pa 30 » aurait pu se terminer là…

Par une belle nuit bretonne, Pascal Le Dû décide de retourner sur cette cible en octobre 2018. L’objet découvert par Dana est quand même assez convainquant… Pascal dispose d’un télescope de type Newton de 0,2 m et d’un spectroscope Alpy600. La fente du spectroscope est centrée sur « Pa 30 ».

Fig. 3 : Fente du spectrographe ALPY 600 sur Pa 30

Après 10 minutes de pose, le premier spectre brut apparait à l’écran et … c’est un grand moment d’émotion ! Le spectre de « Pa 30 » situé à proximité du spectre d’une étoile très lumineuse, est tout à fait inhabituel. Il présente un « plateau en émission » très intense dans le proche ultraviolet (UV)…

Fig. 4 : Spectre 2D de Pa30

Les poses s’enchainent. Un premier traitement montre effectivement sur le spectre 2D réduit, une raie en émission très intense qui débute à ~4000Å et qui se poursuit dans le proche UV.

Fig. 5 : Spectre 1D de Pa30

Il faut absolument confirmer cette observation entre amateurs avant de contacter un professionnel. Christian Buil qui perfectionne justement son nouveau spectroscope UVEX [6] optimisé pour le proche UV ainsi que Olivier Garde, ne bénéficient pas d’une bonne météorologie dans leurs régions. Thomas Petit qui réside à Prague et qui dispose du même setup que Pascal, tente l’objet une première nuit, sans succès. La deuxième nuit est la bonne, le signal est confirmé ! Il est temps d’envoyer un message à Quentin Parker.

Sa réaction est immédiate. Le signal observé est vraiment atypique. Une équipe est constituée au sein du laboratoire de recherche spatiale de l’université de Hong Kong (LSR HKU) [7]. Toutes les données sur « Pa 30 » sont collectées. Le spectre du GTC de 2016 est analysé et il se superpose parfaitement au spectre de « Pa 30 » observé depuis la Bretagne, avec une meilleure résolution bien entendu. Ce signal dans le proche UV n’a pas été détecté auparavant car les spectroscopes utilisés en 2014 (WIYN) et en 2016 (AstroQueyras), ne sont pas performants dans le proche UV, contrairement à l’ALPY600 qui lui, va « plus loin dans le bleu ». En analysant finement les données du GTC et notamment les très faibles raies [SII], l’équipe de Quentin Parker découvre que l’étoile centrale de « Pa 30 » est entourée d’une nébuleuse qui a une vitesse d’expansion extrêmement rapide, proche de 1100 km/s. Le nommage de l’objet est alors dissocié. L’étoile centrale qui est une des étoiles Wolf-Rayet les plus chaude de la Galaxie est baptisée « Parker’star ».

Fig. 6 : Image de Pa 30 à différentes longueurs d’onde issue de la publication

La nébuleuse conserve le baptême initial de l’objet, « Pa 30 ». C’est alors qu’un rapprochement est fait entre le couple stellaire « Parker’star/PA 30 » et une des cinq supernovæ qui ont été vues dans notre Galaxie, SN1181. La position de « Parker’star/PA 30 » coïncide avec la position de « l’étoile invitée » observée par les astronomes chinois et japonais en 1181.

Fig. 7 :  Cartographie de la région de la Sn1181AD

La vitesse d’expansion de « Pa 30 » correspond à un évènement qui se serait passé justement à cette époque-là. L’étoile de Parker serait le « reste » de la fusion de deux naines blanches, qui aurait produit un phénomène très rare, une supernova de type Iax.

Fig.8 : Spectre de Pa 30 réalisé par Christian Buil avec un UVEX(2) R=800

A noter que Christian Buil a quand même réussi à observer Pa 30 à l’aide de son UVEX 2, peu de temps après la découverte de la nature spectrale exceptionnelle de cet objet. Son spectre du 24 octobre 2018 confirme tout le potentiel de ce nouveau spectroscope, comme le montre la figure 8. La raie détectée dans le proche UV avec l’ALPY600 est intégralement dévoilée avec L’UVEX qui va plus loin dans le bleu à 3600 Å. Ce spectrographe est maintenant disponible dans sa version 4 en impression 3D qui est beaucoup plus abouti et il existe aussi une version commerciale réalisée par Shelyak Instruments. Ses performances dans le proche UV vont certainement inciter des scientifiques à exploiter toutes les capacités de ce spectroscope remarquable.

L’épilogue de cette histoire c’est une publication dans le « Astrophysical Journal letters » [8] qui a été largement diffusée dans la presse scientifique mondiale et dans les médias. Tout est parti d’une observation amateur en France, de la pointe du Finistère, réalisée avec un petit spectroscope ALPY 600 et un télescope de 200 mm de diamètre. Cette publication est le fruit d’une formidable coopération entre professionnels et amateurs.

 

[1] Kitt Peak National Observatory (https://www.noao.edu/kpno)

[2] WIYN 3.5 m observatory (https://www.wiyn.org)

[3] Gran Telescopio CANARIAS (http://www.gtc.iac.es)

[4] AstroQueyras (https://astroqueyras.com)

[5] Shelyak instruments (https://www.shelyak.com)

[6] UVEX (http://spectro-uvex.tech)

[7] Laboratory for Space Research (https://www.lsr.hku.hk)

[8] “The Remnant and Origin of the Historical Supernova 1181 AD” (https://iopscience.iop.org/article/10.3847/2041-8213/ac2253)